Notes de lecture
- 26/06/2018 Livre d'Art sur Casanova
- 25/06/2018 Casanova et la nourriture
- 21/06/2018 Casanova en Suisse
- 15/06/2018 Solution du problème deliaque
- 13/06/2018 Ange Goudar l'espion chinois
- 11/06/2018 Casanova et le comte de Saint-Germain
- 07/06/2018 Une promenade à Paris avec Giacomo Casanova
- 05/06/2018 Casanova, un franc-maçon en Europe au XVIIIème siècle
- 31/05/2018 Le Bréviaire de Casanova
- 27/05/2018 Dans quelle édition lire Casanova aujourd'hui
- 15-04-2018 Lire ou relire "Le bal masqué de Giacomo Casanova"
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26/06/2018 Livre d'Art sur Casanova
Pour mon anniversaire mes amis m'ont offert un livre que je lorgnais depuis longtemps : Les voyages de Casanova. Ce livre imposant (48x34 cm) reprend à la fois des aquarelles d'Auguste Leroux et des gravures anciennes des villes visitées par Casanova. les textes sont de
Marco Caminati
. La présentation qu'il en fait de Casanova tord le cou aux idées reçues, qu'on en juge :
De nos jours, un homme qualifié de « Casanova ›› sait, dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas, ce que sous-entend ce nom : sinon une réprobation, du moins un jugement bien particulier. Un « Casanova ›› est celui qui, pour gagner les faveurs d'une (jeune) femme, est prêt à tout : à escalader les murs d'un couvent, à enjamber dles balcons, å prendre la fuite de manière rocambolesque, à devoir affronter des maris furibonds, il s'attirer les foudres de l'Etat et de l'Église avec la triste perspective de croupir jusqu'à la fin de ses jours dans un cachot. Face à de tels penchants ou dispositions, on pourrait également parler de « Don Juan ››. Mais la différence qui pourrait sembler insignifiante aux profanes est au contraire cruciale pour les « initiés » (les experts en séduction) : Casanova est un être humain, fait de chair et d'os, tandis que Don juan est un personnage littéraire. Si Casanova et Don juan ont tous deux embrassé la carrière de libertin et se sont tous deux mis en quête de plaisirs charnels sans complication sentimentale, Casanova fait manifestement preuve d'une attitude plus chevaleresque, plus humaine: aucune de ses innombrables conquêtes n'a eu a se plaindre de lui, aucune ne lui a gardé rancune. Lui-même est tombé dans le « piège du sentiment» : on le voit pleurant et se désespérant au moment d'une séparation forcée. Rien à voir avec l'orgueil méprisant, le tempérament glacial et le cruel cynisme du personnage de Don juan qui « se glisse chez les vieilles ›› pour le seul et impudent plaisir de les ajouter à son tableau de chasse. Par ailleurs, Casanova n'est pas qu'un coureur de jupons ou un aventurier impénitent : c'est un homme curieux, cultivé, qui se montre, certes, peu fiable et sans scrupules (surtout avec les naïfs et les sots qu'il lui arrive de croiser en chemin) mais qui est aussi attiré par des personnalités comme Voltaire, D'Alembert, Rousseau, Winckelmann, Mengs, Métastase, Genovesi, Da Ponte, Cagliostro et Haller. Grâce à son irrésistible éloquence, il s'attire l'attention de souverains, tels Frédéric II de Prusse (lequel lui offre un poste de précepteur, charge qu'il refuse), Catherine II de Russie (à qui il propose rien moins que la réforme du calendrier) ou le roi de Pologne Stanislas Poniatowski. Seule Marie-Thérèse d’Autriche n'est pas tombée dans les filets de ses dons de beau parleur: lorsqu'elle apprend qu'il est à Vienne, elle le fait immédiatement expulser de la capitale, arguant qu'il est un sujet dangereux pour la moralité publique. Si l'on regarde le personnage dans une plus large perspective, il faut admettre qu'être un « Casanova ›› signifie bien plus de choses qu'il n'y paraît. Cela implique, entre autres, qu'il faut être polyglotte, connaître
par cœur les œuvres d'Horace et de L'Arioste, savoir jouer du violon, avoir un intérêt prononcé et des compétences dans la médecine, la kabbale, la science des finances, la gestion d'entreprise, la diplomatie et l’espionnage. Il faut en outre avoir un goût pour la chose littéraire qui se matérialise en mémoires, romans, essais, pièces de théâtre et traductions. Il faut même exceller en théologie, puisque Casanova - aussi surprenant que cela puisse paraître - a embrassé dans sa jeunesse une carrière ecclésiastique, recevant les ordres mineurs et devenant ainsi abbé.
Casanova aurait aimé ce livre qui n'apprendra rien aux Casanovistes mais il rend gloire à notre Giacomo qui le mérite bien.
Quelques photos du livre :
voir ici
25/06/2018 Casanova et la nourriture
Dès la préface Casanova donne le ton :
« J’ai aussi aimé la bonne table avec transport »
Son premier repas à la pension de Padoue ne lui a pas laissé un excellent souvenir :
« Je m’assieds à table, et voyant devant moi une cuiller de bois, je la rejette, demandant mon couvert d’argent que je chérissais en qualité de présent de ma bonne grand-mère. La servante me dit que la maîtresse voulant l’égalité, je devais me conformer à l’usage. Cela m’a déplu; mais je m’y suis soumis. Ayant appris que tout devait être égal, j’ai mange comme les autres la soupe dans le plat, sans me plaindre de la vitesse avec laquelle mes camarades mangeaient, fort étonné qu’elle fût permise. Après la fort mauvaise soupe, on nous donna une petite portion de morue sèche, puis une pomme, et le dîner finit là. Nous étions en carême. Nous n’avions ni verres, ni gobelets ; nous bûmes tous dans le même bocal de terre d’une infâme boisson nommée graspia. C’était de l'eau dans laquelle on avait fait bouillir des grappes dépouillées de raisin. Dans les jours suivants, je n’ai bu que de l’eau simple. Cette table m’a surpris, parce que je ne savais pas s'il m’était permis de la trouver mauvaise ».
Mais Giacomo apprend vite à améliorer son ordinaire :
« Je grandissais à vue d’œil ; je dormais neuf heures du sommeil le plus profond que nul rêve troublait, sinon celui qu’il me paraissait toujours d’être assis à une grande table occupé à assouvir mon cruel appétit. Les rêves flatteurs sont plus mauvais que les désagréables. Cette faim enragée m’aurait à la fin entièrement exténué, si je n’avais pris le parti de voler, et d’engloutir tout ce que je trouvais de mangeable partout, quand j'étais sur de n'être pas vu. J’ai mangé en peu de jours une cinquantaine de harengs saurets, qui étaient dans une armoire de la cuisine, où je descendais la nuit à l’obscur, et toutes les saucisses qui étaient attachées au toit de la cheminée toutes crues défiant les indigestions, et tous les œufs que je pouvais surprendre dans la basse-cour à peine pondus étaient ainsi tous chauds ma nourriture exquise. J’allais voler des mangeailles jusque dans la cuisine du docteur mon maître. L’esclavonne désespérée de ne pas pouvoir découvrir les voleurs, ne faisait que mettre à la porte des servantes. Malgré cela, l’occasion de voler ne se présentant pas toujours, J’étais maigre comme un squelette, véritable carcasse. En quatre ou cinq mois mes progrès furent si rapides, que le docteur me créa décurion de l’école. Mon inspection était celle d’examiner les leçons de mes trente camarades, de corriger leurs fautes, et de les dénoncer au maître avec les épithètes de blâme, ou d’approbation qu’ils méritaient; mais ma rigueur ne dura pas longtemps. Les paresseux trouvèrent facilement le secret de me fléchir. Quand leur .latin était rempli de fautes, ils me gagnaient moyennant des côtelettes rôties, des poulets, et souvent me donnaient de l’argent; mais je ne me suis pas contenté de mettre à contribution les ignorants; j’ai poussé l’avidité au point de devenir tyran. Je refusais mon approbation à ceux aussi qui la méritaient quand ils prétendaient de s’exempter de la contribution que j’exigeais. Ne pouvant plus souffrir mon injustice, ils m’accusèrent au maître, qui me voyant convaincu d’extorsion me démit de ma charge. Mais ma destinée allait déjà mettre fin a mon cruel noviciat. »
Notre Giacomo vient donc de révéler les qualités et les défauts qui l’accompagnerons tout au long de son existence. Des qualités indéniables : ne intelligence et une mémoire hors du commun qui lui font apprendre à lire et écrire en quelques semaines. Les défauts : la gourmandise, mentir, tricher et exploiter toutes les faiblesses d’autrui. Jusqu’à la fin de sa vie il sera « un loup à table » dira le Prince de Ligne.
Peut de temps après voilà notre Giacomo surpris et démonté par une indigestion et l’abus de boissons fortes :
« Le jour donc du 19 de mars dans lequel je devais quatre heures après-midi monter en chaire pour réciter mon sermon, je n'ai pas eu le courage de me priver du plaisir de dîner avec le comte de Mont-Réal qui logeait chez moi, et qui avait invité le patricien Barozzi qui après Pâques devait épouser la comtesse Lucie sa fille. J’étais encore à table avec toute la belle compagnie, lorsqu’un clerc vint m'avertir qu’on m’attendait à la sacristie. Avec 1’estomac plein et la tête altérée, je pars, je cours à l’église, je monte en chaire. Je dis très bien l'exorde, et je prends haleine. Mais à peine prononcées les cent premières paroles de la narration, je ne sais plus ni ce que je dis, ni ce que je dois dire, et voulant poursuivre à force je bats la campagne, et ce qui achève de me perdre est un bruit sourd de l’auditoire inquiet qui s’était trop aperçu de ma déroute. Je vois plusieurs sortir de ‘°église, il me semble entendre rire, je perds la tête, et l'espoir de me tirer d’affaires. Je peux assurer mon lecteur que je n’ai jamais su si j’ai fait semblant de tomber en défaillance, ou si j’y suis tombé tout de bon. Tout ce que je sais est que je me suis laissé tomber sur le plancher de la chaire, en donnant un grand coup de tête contre le mur désirant qu’il me l’eût fendue. Deux clercs sont venus me prendre pour me reconduire à la sacristie, ou sans dire le mot à personne j’ai pris mon manteau et mon chapeau, et je suis allé chez moi. »
21/06/2018 Casanova en Suisse
Après s'être installé, le premier soin du nouvel arrivant fut d'aller remettre sa lettre au portier de M. de Muralt. Puis il fut se promener au hasard.
Ses pas le conduisirent sans doute sur la terrasse de la cathédrale, qu’on reconnaît sous cette description aux traits assez effacés :
Arrivé sur une élévation d`où mes regards planaient sur une vaste campagne où serpentait une petite rivière, j’aperçus un: sentier qu`i1 me prit envie de suivre et qui mène à une sorte d`escalier. Je descendis une centaine de marches et je trouvai une quarantaine de cabinets que je jugeai être des espèces de loges pour se baigner.
Guidé par son instinct, l'aventurier s’était dirigé d'emblée vers un des plus mauvais lieux de la ville.
Les bains de la Matte, car c'est d'eux qu’il s'agit, étaient en effet, depuis fort longtemps, une maison de débauche. Nous ne suivrons point Casanova dans la visite qu'il fit, ce jour-là, aux Nymphes robustes qui peuplaient le bord de la rivière, ni dans celle qu'il leur renouvela le lendemain, accompagné cette fois-ci de sa belle gouvernante, costumée en homme et enveloppée dans une grande redingote bleue. Des pages comme celles où il étale cyniquement les débordements auxquels il se livra ne sont pas rares dans les Mémoires. Ce ne sont pas les plus intéressantes. En fréquentant Casanova, il faut s’inspirer de l’exemple d'un de ses contemporains et compatriotes, Lorenzo da Ponte, le librettiste de Mozart, qui se plaisait à rechercher sa conversation toujours intéressante, prenant chez cet homme ce qu’il y avait de bon et fermant les yeux, en faveur de son génie, sur ce que cette nature avait de pervers.
Toutefois, comme un des objets de cette étude est de rechercher le degré de véracité qu'on peut accorder à la partie des Mémoires qui touche à la Suisse, on nous permettra de citer, sur 1’établissement de la Matte, quelques témoignages contemporains.
La liberté, ou plutôt la licence qui régnait dans certains bains suisses avait déjà frappé, au XVème siècle, les deux grands humanistes Poggio Bracciolini et Aeneas Sylvius Piccolomini, le futur pape Pie II, qui en ont parlé dans des épîtres très connues. En ce qui concerne plus particulièrement la Matte, voici ce qu’on en peut lire dans le Journal d'Emígration, du comte d’Espinchal, sous la date du 25 août 1789 :
Je ne puis me dispenser de parler des bains publics établis sur la rivière. Il y a plusieurs de ces maisons, voisines les unes des autres. Ces bains sont servis par des femmes. Lorsque vous faites préparer votre bain, les filles de la maison arrivent successivement, chacune apportant quelque chose, l’une du vin, l`autre du pain, l'autre du fromage. Celle qui paraît vous plaire reste avec vous et ne mettant point de borne à sa complaisance, se met sur le champ dans le bain avec vous. Il s`en trouve quelquefois de très jolies. Cet endroit s`appelle Lammat. Il y a quelques années, M. le duc d`Orléan1s (qui portait encore le titre de duc de Chartres), accompagné du comte de Genlis et du marquis de Fénelon, ses dignes acolytes, fit un tour en Suisse. Il vint a Berne. Les magnifiques seigneurs le reçurent avec distinction. On le promena par la ville. Toute la bonne compagnie s’était rassemblée sur la plate-forme pour le voir: il s’informe tout haut et sans pudeur où est Lammat et laisse effrontément tout le monde pour se rendre publiquement dans ce mauvais lieu. Lorsque je fus en Suisse, en 1783, on me montra celle qui avait servi aux plaisirs du prince et qu'on n'appelait pas autrement que «la duchesse de Chartres ››.
La version de Casanova :
Histoire de ma vie Brockhaus-Plon Volume VI Chapitre Vlll pages 181-187
Arrivé dans un endroit de l’émínence de la ville, où je voyais la vaste campagne et une petite rivière, je suis descendu cent degrés au moins, et je me suis arrêté voyant trente ou quarante cabinets qui ne pouvaient être que des loges pour des gens qui voudraient prendre des bains. Un homme à mine honnête me demanda si je voulais me baigner, et lui ayant répondu que oui, il m’ouvrit une loge, et voilà une quantité de servantes qui courent à moi. L’homme me dit que chacune aspire à l’honneur de me servir dans le bain, et que c’était à moi choisir celle que je voulais. Il me dit que moyennant un petit écu je payerais le bain, la fille, et mon déjeuner aussi. Je jette le mouchoir. comme le grand Turc, à celle qui me revenait le mieux, et j'entre. Elle ferme la porte en dedans, elle me met en pantoufles, et boudant, ne me regardant jamais au visage, elle met mes cheveux et mon catogan sous un bonnet de coton, elle me déshabille; et quand elle me voit dans le bain, elle se déshabille aussi, et elle y entre sans m'en demander la permission; et elle commence à me frotter partout excepté dans l’endroit que voyant couvert de ma main, elle devina que je ne voulais point qu’elle y touchât. Lorsque je me trouve assez frotté, je lui demande du café. Elle sort du bain, elle sonne, et elle ouvre. Puis elle rentre dans le bain sans se gêner dans ses mouvements tout comme si elle avait été vêtue. Une minute après une vieille femme nous porte du café, puis elle s’en va, et ma baigneuse sort de nouveau pour refermer la porte puis se remet à la même place. J’avais déjà vu, quoique sans m’y arrêter, que cette servante avait tout ce qu’un amant passionné se figure de plus beau dans un objet dont il est épris. Il est vrai que je sentais que ses mains n’étaient pas douces, et qu’il se pouvait que sa peau au tact ne le fût pas non plus, et je ne voyais pas sur son visage l’air distingué que nous appelons de noblesse, et le riant que l’éducation donne pour annoncer la douceur, ni le fin regard qui indique des sous-entendus, ni les grimaces agréables de la réserve, du respect, de la timidité et de la pudeur. A cela près ma Suissesse à l’âge de dix-huit ans avait tout pour plaire a un homme qui se portait bien, et qui n’était pas ennemi de la nature; mais malgré cela elle ne me tentait pas.
Eh quoi ! Me disais-je, cette servante est belle, ses yeux sont bien fendus, ses dents sont blanches, l’incarnat de son teint est le garant de sa santé, et elle ne me fait aucune sensation ? Je la vois toute nue, et elle ne me cause la moindre émotion ? Pourquoi ? Ce ne peut être que parce qu’elle n’a rien de ce que la coquetterie emprunte pour faire naître l’amour. Nous n’aimons donc que l’artifice et le faux, et le vrai ne nous séduit plus lorsqu’un vain appareil n’en est pas l’avant-coureur. Si dans l’habitude que nous nous sommes faite d’aller vêtus, et non pas tout nus, le visage qu'on laisse voir à tout le monde est ce qui importe le moins, pourquoi faut-il qu’on fasse devenir ce visage le principal ? Pourquoi est-ce lui qui nous fait devenir amoureux? Pourquoi est-ce sur son témoignage unique que nous décidons de la beauté d’une femme, et pourquoi parvenons-nous jusqu’à lui pardonner, si les parties qu’elle ne nous montre pas sont tout le contraire de ce que la jolie figure nous les a fait juger? Ne serait-il pas plus naturel et plus conforme à la raison, et ne vaudrait-il pas mieux aller toujours avec le visage couvert, et le reste tout nu, et devenir amoureux ainsi d’un objet, ne désirant autre chose pour couronner notre flamme qu’une physionomie qui répondrait aux charmes qui nous auraient déjà à fait devenir amoureux ? Sans doute cela vaudrait mieux, car on ne deviendrait alors amoureux que de la beauté parfaite, et on pardonnerait facilement quand à la levée du masque on trouverait laid le visage que nous nous serions figuré beau. Il arriverait de la que les seules femmes qui auraient une figure laide seraient celles qui ne pourraient jamais se résoudre à la découvrir, et que les seules faciles seraient les belles; mais les laides ne nous feraient pas au moins soupirer pour la jouissance; elles nous accorderaient tout pour n`être pas forcées à se découvrir, et elles n’y parviendraient à la fin que lorsque par la jouissance de leurs véritables charmes elles nous auraient convaincus que nous pouvons facilement nous passer de la beauté d’une figure. ll est d’ailleurs évident et incontestable que l’inconstance en amour n`existe qu’à cause de la diversité des figures. Si on ne les voyait pas, l’homme se conserverait toujours amoureux constant de la première qui lui aurait plu.
Sortant du bain, je lui ai donné les serviettes, et lorsque je me suis vu bien essuyé, je me suis assis, et elle rn’a passé ma chemise, puis telle qu’el1e était elle m’a coiffé. Dans ce même temps je me suis chaussé, et après m’avoir bouclé les souliers, elle s’habilla dans une minute, l’air l’ayant déjà séchée. Dans le moment de m’en aller je lui ai donné un petit écu, puis six francs pour elle-même; mais elle me les rend avec un air de mépris, et elle s’en va. Ce trait me fit retourner à mon auberge, mortifié, car cette fille s’était crue méprisée, et elle n’était pas faite pour l’être.
Après souper je n’ai pu m’empêcher de conter à ma bonne toute cette histoire en détail qu’elle écouta avec la plus grande attention et y faisant des commentaires. Elle me dit qu’elle n’était certainement pas jolie, car je n’aurais pu résister aux désirs qu’elle m’aurait inspirés, et qu'elle serait bien aise de la voir. Je lui ai offert de la conduire là-bas, et elle me dit que je lui ferais plaisir; mais qu'elle devait s'habiller en homme. Après m’avoir dit cela elle se lève, et un quart d’heure après je la vois devant moi bien vêtue avec un habit de Leduc, mais sans culottes, car elle ne put pas les mettre. Je lui ai dit de se servir des miennes; et nous mîmes la partie au lendemain matin. Je l’ai vue devant moi à six heures tout habillée, et avec une redingote bleue qui la déguisait à merveille. Je me suis vite habillé, et ne nous souciant pas de déjeuner, nous allâmes à la Mata. C’est le nom de l’endroit. Ma bonne, animée par le plaisir que cette partie lui faisait, était radieuse. Il était impossible que ceux qui la voyaient ne s’aperçussent que son habit n`était pas celui de son sexe, aussi se tint-elle tant qu’elle put, enveloppée dans la redingote.
A peine descendus, voila le même homme qui nous demande si nous voulions un bain pour quatre, et nous entrons dans la loge. Les servantes paraissent, je montre à ma bonne la jolie qui ne m’avait pas séduit, et elle la prend; j’en prends une autre grande et bien faite à l’air fier, et nous nous enfermons. Je me laisse vite coiffer par la mienne, je me déshabille et j’entre dans le bain, et ma nouvelle servante fait la même chose. Ma bonne allait lentement; la nouveauté de la chose l’étonnait, elle me paraissait repentie de s’être engagée, elle riait me voyant là entre les mains de la grande Suissesse, qui me frottait partout et elle ne pouvait pas se déterminer à ôter sa chemise; mais enfin une honte a vaincu l’autre, et elle entra dans le bain m’étalant presque par force toutes ses beautés; mais elle dut se laissera servir par moi sans cependant dispenser l’autre d’entrer et de faire son devoir.
Les deux servantes, qui s’étaient déjà trouvées plusieurs fois dans des parties pareilles, se mirent en position de nous divertir avec un spectacle qui m`était très bien connu, mais que ma bonne trouva tout à fait nouveau.
Elles commencèrent à faire ensemble la même chose qu’elles me voyaient faire avec la Dubois. Elle les regardait très surprise de la fureur avec laquelle la servante que j’avais prise jouait vis-à-vis de l'autre le rôle d’homme. J’en étais aussi un peu étonné, malgré les fureurs que M.M. et C.C. avaient offertes a mes yeux six ans avant ce temps-là, et dont il était impossible de s’imaginer quelque chose de plus beau. Je n’aurais jamais cru que quelque chose pût me distraire ayant entre mes bras pour la première fois une femme que j'aimais, et qui possédait parfaitement tout ce qui pouvait intéresser mes sens ; mais l’étrange lutte dans laquelle les deux jeunes ménades se débattaient l’occupait aussi. Elle me dit que la prétendue fille que j'avais prise était un garçon malgré sa gorge, et qu’elle venait de le voir. Je me tourne, et la fille même, me voyant curieux, met devant mes yeux un clitoris, mais monstrueux et raide.
Je dis ce que c’était à ma bonne tout ébahie, elle me répond que ce ne pouvait pas être cela, je le lui fais toucher et examiner, et elle doit en convenir. Cela avait l’air d’un gros doigt sans ongle, mais il était pliant ; la garce qui convoitait ma belle gouvernante lui dit qu’il était assez tendu pour le lui introduire, si elle voulait bien le lui permettre, mais elle n’a pas voulu, et cela ne m’aurait pas amusé. Nous lui avons dit de poursuivre ses exploits avec sa camarade, et nous rimes beaucoup, car l’accouplement de ces deux jeunes filles, quoique comique, ne laissait pas d’exciter en nous la plus grande volupté. Ma bonne excédée s’abandonna entièrement à la nature allant au-devant de tout ce que je pouvais désirer. Ce fut une fête qui dura deux heures, et qui nous fit retourner à notre auberge très contents. J’ai donné aux filles, qui nous avaient bien amusés, deux louis ; mais non pas avec l’intention d’y retourner. Nous n’en avions pas besoin pour poursuivre à nous entredonner des marques de notre tendresse. Ma bonne devint ma maîtresse, et véritable maîtresse, faisant mon bonheur parfait, comme je faisais le sien pendant tout le temps que j’ai passé à Berne. Étant déjà parfaitement guéri nulle triste suite troubla notre contentement réciproque. Si les plaisirs sont passagers, les peines le sont aussi, et lorsqu’en jouissant, nous nous rappelons celles qui précédèrent la jouissance, nous les aimons, et hœc aliquando meminiss juvabit.
A dix heures on m’annonça l’avoyé de Thune. Cet homme habillé à la française en habit noir, grave, doux, poli et d’un certain âge, me plut. C’était un des sages du gouvernement. Il voulut par force me lire la lettre que M. de Chavigni lui avait écrite ; je lui ai dit que si elle avait été décachetée je ne la lui aurais pas portée. Il me pria à dîner pour le lendemain chez lui en hommes et en femmes, et pour le surlendemain à souper en hommes. Je suis sorti avec lui, et nous allâmes à la bibliothèque, où j’ai connu M. Félix, moine défroqué, plus littérateur que lettré, et un jeune homme nommé Schmith, lettré qui promettait, et qui était déjà bien connu dans la république littéraire. Un docte en histoire naturelle, qui savait par cœur dix mille noms des différentes coquilles m’ennuya parce que sa science m’était tout à fait étrangère. Entre autres choses, il me dit que l’Aar, rivière renommée du canton, avait de l’or dans ses sables; je lui ai dit que toutes les grandes rivières en avaient, et il me parut ne pas en convenir.
J’ai dîné chez M. de Muralt avec les quatre ou cinq femmes de Berne qui avaient la plus grande réputation, et elles m’en semblèrent dignes principalement une dame de Saconaï fort aimable et instruite. Je lui aurais fait ma cour si j’avais fait un plus long séjour dans cette capitale de la Suisse, si la Suisse pouvait avoir une capitale. Les dames de Berne se mettent bien, quoique sans luxe puisque les lois le défendent; elles ont 1’air aisé, et elles parlent très bien français. Elles jouissent de la plus grande liberté, et elles n’en abusent pas, malgré la galanterie qui anime les coteries, car la décence y est observée. J’ai remarqué que les maris n’y sont pas jaloux, mais ils exigent qu’à neuf heures elles soient toujours à la maison pour souper en famille. Dans trois semaines que j’ai passées dans cette ville, une femme de quatre-vingt cinq ans m’intéressa à cause de ses connaissances en chimie. Elle avait été bonne amie du fameux Boherave. Elle m’a montré une lame d’or qu’il avait faite à sa présence, et qui avant la transmutation était de cuivre. Elle m’assura qu’il possédait la pierre; mais elle me dit qu’elle n’avait la qualité de prolonger la vie que quelques années au-delà du siècle. Boherave selon elle n’avait pas su s'en servir. ll était mort d’un polype entre le cœur et le poumon avant d’être parvenu à la parfaite maturité qu’Hippocrate fixe à l’âge de soixante et dix ans. Les quatre millions qu’il laissa à sa fille démontraient qu’il possédait l’art de faire l’or. Elle me dit qu’il lui avait fait présent d’un manuscrit dans lequel tout le procédé se trouvait, mais qu’elle le trouvait obscur.
- Publiez-le.
- Dieu m’en préserve.
- Brûlez-le donc.
- Je n’en ai pas le courage.
15/06/2018 Solution du problème deliaque
L'éditeur s'est offert une belle faute d'orthographe en écrivant 2 fois : SOLUTION DU PROBLLEME DELIAQUE alors que la page de garde de Casanova n’a pas de faute.
Mai revenons au texte : J’ai beau lire et relire je n'y comprends rien : c’est certainement mon grand âge et les handicaps qu’il impose, la fatigue ou une impossibilité culturelle à me glisser dans l’esprit de Casanova. Pour m'aider je suis allé lire le texte de Charles Henry qui a analysé les connaissances mathématiques de Casanova. C'est une fois arrivé à la page 28 que l'on découvre que la solution à ce problème est impossible puisque la racine cubique de 2 n'est pas un nombre rationnel. Mais passons au plus intéressant : les réflexions philosophiques de Giacomo. Il m’a fait découvrir un mot que j’ignorais : pneumatologie et grâce à Wikipedia j’en ai compris le sens : (1).
Dès que Casanova fait preuve de bon sens je comprends, ceci par exemple :
Une dose d’eau de vie augmente la vigueur d’un portefaix, et plus forte l’énerve ; et un orateur qui a déjà persuadé, ennuyé, et indispose s’il cherche de nouveaux arguments. La longue exposition de mes raisonnements fait peut être le même effet. Une idée de liaison empiète souvent sur le principal, et l’écrivain ne sait pas s’en défendr e.(page 24)
Ou bien :
Mais pour m’armer contre un jugement qui me serais désagréable, je me crois en devoir de déclarer qu’en donnant au Public le détail de mon opération, je ne prétends aucunement de donner quelque chose de bien important. Ma découverte est plus curieuse qu’utile, car le monde, qui depuis tant de siècles s’est passé de cette certitude, pourrait également s’en passer pour l’avenir sans être guère plus malheureux . (page 24).
On trouve aussi des jugemenst qui gardent toute leur actualité :
Les idées monstrueuses des grands Génies sont cependant filles de leur science. Moins savants ils auraient été plus raisonnables. (page 31)
Et des assertions peut être discutables mais parfaitement ciselées :
On peut dire que Newton a matérialisé l’esprit, et que Leibnitz pour le venger a spiritualisé la matière. (page 32)
(1) La pneumatologie (pneuma (πνεῦμα) est le mot grec pour « souffle »), dans la théologie chrétienne, se réfère à l'étude du Saint-Esprit et de ses œuvres.
13/06/2018 Ange Goudar l'espion chinois
Relisant le livre de Jean-Claude Hauc sur Ange Goudar (Honoré Champion 2004) Je me suis dit que lire « L’espion Chinois » ne pourrait pas nuire à ma culture générale. J’ai donc extrait de ma bibliothèque l’édition de L’espion chinois dans la collection « de mémoire » L’HORIZON CHIMERIQUE.
La première lettre sur la découverte de la religion catholique par ce chinois mal-pensant m’a ravi mais encore plus la lettre VII dont l’actualité rend le texte particulièrement savoureux. Qu’on en juge :
Lorsqu’il veut faire la guerre, il dit à ses généraux : vous rassemblerez deux cent mille hommes, et vous irez vous battre dans telle plaine qu’il leur désigne ; aussitôt les armées marchent. Et vous, peuples, vous me remettrez vos biens, et enverrez à mon trésor tout votre argent, sans même vous réserver celui qui vous est nécessaire pour vivre ; et d’abord ses coffres sont pleins; ses sujets lui donnent tout, jusques aux seuls moyens qui leur restent pour vivre.
Il n'y a pas beaucoup d°imagination, comme tu vois, à cette puissance ; elle dérive de deux ou trois ordres. Le dernier sujet de cette monarchie, qui aurait beaucoup d’ambition et peu d’humanité, pourrait devenir un grand roi. On prétend cependant que cet effort de génie ne vient pas de lui, ses ministres l’aident à former cette grandeur, et en combinent ensemble les moyens ; ils l’imaginent, et se chargent de l’exécution.
On compterait plutôt les grains de sable du vaste océan que le nombre des arrêts publiés depuis un siècle dans cette monarchie. Tu penses bien qu’ils se croisent les uns les autres, et sont contradictoires à eux-mêmes ; car s’ils étaient conséquents il y aurait un système d’unité dans ce gouvernement; et il s’en faut de cent mille contradictions, que cela soit. Un premier arrêt est presque toujours démenti par un second, et celui-ci déclaré nul par un troisième.
De ce désaveu continuel de la volonté souveraine, résulte un contraste qui forme un paradoxe dans ce gouvernement, que je ne saurais t`expliquer, parce qu’il ne s’accorde pas avec le reste des mœurs de la nation.
C'est un point d’honneur établi en France dans la société civile, qu`un homme qui ment est regardé comme un imposteur, indigne de cette société dont il est membre, et taxé de bas : or, je ne comprends pas pourquoi le roi de France, qui ment continuellement dans ses décrets, passe pour grand.
11/06/2018 Casanova et le comte de Saint-Germain
Premier extrait : Histoire de ma vie Volume V chapitre 5 pages 114-115 Edition Brockhaus-Plon
Le dîner qui m'amusa le plus fut celui qu’elle donna à Mme de Gergi qui vint accompagnée du fameux aventurier, comte de St-Germain. Cet homme, au lieu de manger, parla du commencement jusqu’à la fin du dîner; et je l’ai écouté avec la plus grande attention, car personne ne parlait mieux que lui. Il se donnait pour prodigieux en tout, il voulait étonner, et positivement il étonnait. Il avait un ton décisif, qui cependant ne déplaisait pas, car il était savant, parlant bien toutes les langues, grand musicien, grand chimiste, d’une figure agréable, et maître de se rendre amies toutes les femmes, car en même temps qu'il leur donnait des fards qui leur embellissaient la peau, il les flattait, non pas de les faire devenir plus jeunes, car cela, disait-il, était impossible, mais de les garder et conserver dans l'état ou il les trouvait moyennant une eau, qui lui coûtait beaucoup, mais dont il leur faisait présent. Cet homme très singulier, et né pour être le plus effronté de tous les imposteurs, impunément disait, comme par manière d’acquit, qu'il avait trois cents ans, qu'il possédait la médecine universelle, qu’i1 faisait tout ce qu’il voulait de la nature, qu'il fondait les diamants, et qu'il en faisait un grand de dix à douze petits sans que le poids diminuât, et avec la plus belle eau. C’étaient pour lui des bagatelles. Malgré ses rodomontades, ses disparates et ses mensonges évidents, je n’ai pas eu la force de le trouver insolent, mais ne l’ai pas non plus trouvé respectable; je l’ai trouvé étonnant malgré moi, car il m’a étonné. Je retournerai à parler de lui à sa place.
…Après que Mme d’Urfé me fit connaître tous ces personnages je lui ai dit que je dînerai avec elle quand elle en aurait l’envie, mais toujours tête à tête à l’exception de ses parents et de St-Germain, dont l’éloquence et les fanfaronnades m’amusaient. Cet homme qui allait souvent dîner dans les meilleures maisons de Paris, n'y mangeait pas. Il disait que sa vie dépendait de sa nourriture, et on s’en accommodait avec plaisir, car ses contes faisaient l’âme du dîner.
Deuxième extrait : Histoire de ma vie Volume V chapitre 8 pages 174-176 Edition Brockhaus-Plon
Elle me dit que nous aurions à dîner avec nous St-Germain; elle savait que cet adepte m’amusait. Il vint, il s’assit à table, et non pas pour manger, mais pour parler comme il faisait toujours. Il contait effrontément des choses incroyables qu’il fallait faire semblant de croire, puisqu’il se disait ou témoin oculaire, ou le principal personnage de la pièce ; mais je n’ai pu m’empêcher de pouffer quand il conta un fait qui lui était arrivé dînant avec les Pères du Concile de Trente.
Madame avait au cou un gros aimant armé. Elle prétendait qu’une fois ou l'autre il lui attirerait la foudre, et que par ce moyen-la elle irait au soleil.
- Ce serait immanquable, repartit l’imposteur ; mais il n’y a que moi au monde de capable de donner à l'aimant une force mille fois plus grande que celle que lui donnent les physiciens ordinaires.
Je lui ai dit froidement que je gagerais 20 m#. écus qu’il n’augmenterait pas seulement du double celle de celui que Madame avait à son cou. Madame l’a empêché d’accepter la gageure et elle me dit après tête-à-tête que j’aurais perdu car St-Germain était magicien.
Je lui ai dit qu’elle avait raison.
Quelques jours après, ce prétendu magicien partit pour Chambord, château royal, où le Roi lui avait donné un appartement et l00 m#. Pour qu’il put travailler en pleine liberté aux teintures qui devaient faire prospérer toutes les fabriques des draps de la France. Il avait séduit le monarque, lui montant à Trianon un laboratoire qui souvent l’amusait, ayant le malheur de s'ennuyer partout excepté à la chasse; ce fut la marquise qui lui fit connaître l’adepte pour le faire devenir chimiste; car après qu’il lui avait fait présent de l’eau de jeunesse, elle lui croyait tout. Cette eau merveilleuse, prise dans la dose qu’il lui avait ordonnée, n’avait pas la vertu de rajeunir, car l’homme adorateur de la vérité convenait que c’était impossible, mais d'empêcher de vieillir conservant la personne in statut quo plusieurs siècles. Elle avait dit au monarque que réellement elle sentait qu’elle ne vieillissait pas.
Troisième extrait : Histoire de ma vie Volume V chapitre 11 pages 264-265 Edition Brockhaus-Plon
Après avoir fait une visite au juif Boaz, et avoir poli ment refusé le logement qu”il m'offrit,
je suis allé faire ma révérence au comte d'Affri, qui après la mort de Mme la princesse d’Orange, gouvernante des Pays-Bas, avait déployé le caractère d`ambassadeur. Il me reçut très bien, me disant que si j'étais retourné là espérant de faire quelque bonne affaire à l’avantage de la France je perdais mon temps. Il me dit que l'opération du contrôleur général Silhouette avait décrédité la nation au point qu’on s’attendait à une banqueroute. Cela le désolait. Il avait beau dire que les payements n’étaient suspendus que pour une année, que c’était égal. On faisait les hauts cris.
Après s’être plaint ainsi, il me demanda si je connaissais un certain comte de St-Germain arrivé à La Haye depuis peu, qu’il n’avait jamais vu, et qui se disait chargé par le Roi d’un emprunt de cent millions.
- Quand on vient chez moi, me dit-il, pour prendre information de cet homme, je suis obligé de répondre que je ne le connais pas, car j'ai peur de me compromettre. Vous sentez que ma réponse ne peut que diminuer de vigueur sa négociation, mais c’est sa faute. Pourquoi ne m’a-t-il pas porté une lettre du duc de Choiseul, ou de Mme la marquise ? Je crois cet homme imposteur, mais dans huit à dix jours j'en aurai des nouvelles. Je lui ai alors dit tout ce qu’on savait de cet homme singulier et extraordinaire, et il fut surprit d°apprendre que le Roi lui eût donné un appartement à Chambord; mais quand je lui ai appris qu'il avait le secret de faire des diamants, il rit, et il me dit qu’il ne doutait plus qu’il pût trouver les cent millions. Il me pria a dîner pour le lendemain.
A peine retourné à l’auberge je me suis fait annoncer au comte de St-Germain, qui avait dans son antichambre deux Aiducs. ll me reçut me disant que je l’avais prévenu.
- J’imagine, me dit-il, que vous êtes venu ici pour faire quelque chose pour notre cour; mais cela vous sera difficile, car la Bourse est scandalisée de l’opération que ce fou de Silhouette vient de faire. Cela cependant ne m’empêchera pas de trouver cent millions; j’en ai donné ma parole à Louis XV que je peux appeler mon ami, et dans trois ou quatre semaines mon affaire sera faite.
- M. d'Affri vous aidera a réussir.
- Je n’ai pas besoin de lui. Je ne le verrai pas même, car il pourrait se vanter de m'avoir aidé.
- Vous allez a la cour, je pense, et le duc de Brunswick pourra vous être utile.
- Je n’ai que faire de lui. Je ne me soucie pas de faire sa connaissance. Je n`ai besoin que d’aller à Amsterdam. Mon crédit me suffit. J’aime le roi de France, car il n’y a pas dans tout le royaume un plus honnête homme que lui.
- Venez donc dîner à la table là-bas, vous y trouverez des gens comme il faut.
- Vous savez que je ne mange pas; et d’ailleurs je ne m’assieds jamais à une table où je peux trouver des inconnus.
- Adieu donc, monsieur le comte, nous nous verrons aussi à Amsterdam.
Quatrième extrait : Histoire de ma vie Volume X chapitre 2 pages 35-38
Edition Brockhaus-Plon
Le lendemain je suis allé par Ypres à Tournai, où ayant vu deux palefreniers qui faisaient promener des chevaux, j’ai demandé à qui ils appartenaient.
- A M. le comte de Saint-Germain l’adepte, qui est ici depuis un mois, et qui ne sort jamais. Il va faire la fortune de notre province, y établissant des fabriques. Tous ceux qui passent par ici désirent de le voir, mais il est inaccessible à tout le monde.
Cette réponse me donne envie de le voir. A peine descendu à l’auberge je lui écris un billet dans lequel je lui marque mon désir et je lui demande son heure. Voici sa réponse que je conserve, et que je ne fais que traduire en français :
«Mes occupations m’obligent à ne recevoir personne; mais vous faites exception. Venez à l'heure qui vous est plus commode; et on vous introduira dans ma chambre. Vous n’aurez besoin de prononcer ni mon nom ni le vôtre. Je ne vous offre pas la moitié de mon dîner, car ma nourriture ne peut convenir à personne, et à vous moins qu’à tout autre, si vous conservez encore votre ancien appétit. »
J’y suis allé à neuf heures. Il avait la barbe d’un pouce de longueur, et plus que vingt cucurbites avec des liqueurs dedans, dont quelques-unes étaient en digestion sur du sable à chaleur de nature. Il me dit qu’il travaillait aux couleurs pour s’amuser, et qu’il établissait une fabrique de chapeaux pour faire plaisir au comte de Cobenzl, plénipotentiaire de l’impératrice Marie-Thérèse à Bruxelles. Il me dit qu'il ne lui avait donné que vingt-cinq mille florins, qui ne suffiraient pas, mais qu’il y mettrait le surplus. Nous parlâmes de Mme d’Urfé, et il me dit qu’elle s’était empoisonnée en prenant une trop forte dose de médecine universelle.
- Son testament démontre, me dit-il, qu’elle croyait d'être grosse, et elle aurait pu l’être si elle m’avait consulté. C’est une opération des plus faciles, mais on ne peut pas être sûr si le fruit sera masculin ou féminin.
Quand il sut quelle était ma maladie, il me conjura de rester à Tournai seulement trois jours et y faire ce qu’il me dirait. Il m'assurait que je partirais avec toutes mes glandes dégorgées. Il m'aurait donné après cela quinze pilules qui, prises une à la fois, en quinze jours m’auraient entièrement rétabli. Je l'ai remercié de tout, et je n'ai rien accepté.
Après cela il me fit voir son archée qu'il appelait Atoetér. C’était une liqueur blanche dans une petite fiole pareille à plusieurs autres qui étaient là. Elles étaient bouchées avec de la cire. M'ayant dit que c’était l’esprit universel de la nature, et que la preuve en était que cet esprit sortirait à l’instant de la fiole si on faisait dans la cire le moindre petit trou avec une épingle, je l'ai prié de m’en faire voir l’expérience. Il me donna alors une fiole et une épingle, en me disant de la faire moi-même. J’ai percé la cire, et dans l’instant j’ai vu la fiole vide.
- C'est superbe, mais à quoi c’est-il bon ?
- Je ne peux pas vous le dire.
Ambitieux à son ordinaire de ne me laisser partir qu'étonné, il me demanda si j’avais de la monnaie, et j’ai tiré de ma poche celle que j’avais, en la mettant sur la table.
Il se leva alors, sans point du tout me dire ce qu'il allait faire. Il prit un charbon ardent qu’il mit sur une plaque de métal, puis il me demanda une pièce de douze sous que
J’avais là, il y mit dessus un petit grain noir, et il mit la pièce sur le charbon, puis il souffla dans le même charbon avec un chalumeau, et en moins de deux minutes j’ai vu de mes propres yeux ma pièce devenir rouge. Il me dit alors d’attendre qu’elle refroidisse, ce qui fut fait dans une minute.
Après cela il me dit en riant de prendre ma pièce et de la porter avec moi, car elle m’appartenait. Je l’ai vue dans le moment qu’elle était d’or, mais quoique je fusse sûr qu'il m’avait escamoté la mienne, et qu'il avait mis à sa place celle d’or, que très facilement il a pu blanchir, je n’ai pas voulu le lui reprocher. Après l’avoir applaudi, je lui ai dit qu'une autre fois, pour être sûr d’étonner le plus clairvoyant de tous les hommes, il devait le prévenir de la transmutation qu’il allait faire, car pour lors l'homme pensant aurait attentivement regardé sa pièce d'argent avant que de la placer sur le charbon ardent. Il me répondit que ceux qui pouvaient douter de sa science n’étaient pas dignes de lui parler. Cette façon de parler lui était caractéristique. Ce fut la dernière fois que j’ai vu ce célèbre et savant imposteur qui mourut à Scleswick il y a six ou sept ans. La pièce de douze sous était d’or pur. Je l’ai donnée deux mois après au lord maréchal Keit à Berlin qui s’en montra curieux
Sur le blog "Savoir d'histoire" on trouvera une étude fort bien écrite et documentée sur le comte de Saint-Germain : Savoir d'histoire
07/06/2018 Une promenade à Paris avec Giacomo Casanova
05/06/2018 Casanova, un franc-maçon en Europe au XVIIIème siècle
Je pensais, en achetant ce livre en apprendre plus sur Casanova franc-maçon et je suis un peu déçu car je n'ai rien appris de plus que ce qu'en dit Casanova. Mais j'ai découvert une phrase de l'auteur qui m'a surpris : « on peut supposer que ses motivations pour entrer en maçonnerie sont dans la continuité logique de ce qu'il fit depuis des années : voyager, aimer autrui, aider ses contemporains, évier de faire du mal, être dans l'action aimer la liberté. » J’ai du mal lire l’histoire de ma vie car l’image morale que je me suis fait de Casanova est assez loin de ces principes.
Voulant en savoir plus j’ai trouvé le site « GADLU.INFO qui ne m’a aussi laissé sur ma faim et où j’ai lu ceci : « Il reste que son œuvre, parfois pesante, doit se lire comme un document, un témoignage, dont la maçonnerie reste, après le libertinage, l’index le plus voyant. » Tiens donc, les deux paragraphes consacrés à la franc-maçonnerie par Casanova ne m’avaient pas frappé comme marqueurs de sa vie tumultueuse.
31/05/2018 Le Bréviaire de Casanova
C'était ma petite participation à la défense des droits des femmes.
Revenons à ce cher Casanova.
Le livre commence par cette citation admirable : « Ce que l'homme croit le plus fermement est ce qu'il sait le moins. » Elle est d'une actualité admirable car des croyants, aujourd'hui, nous n'en manquons pas.
Une pensée qui à l'inverse me chagrine beaucoup et me fait penser à la misogynie des frères Goncourt page 6 : « La foi des femmes est virtuelle, elle se sent plus naturellement à croire qu'à examiner. » Bien évidemment je ne partage pas ce jugement pour plusieurs raisons : par peur des représailles car mon épouse relit et corrige tout ce que j’écris ensuite parce qu’elle m’apport la preuve du contraire chaque jour ; J’ai bon là ?
Une pensée pleine de bon sens page 28 : « L’égoïsme, à notre insu, est-il constamment le mobile de nos actions ? » Le point d’interrogation laisse penser que Casanova trahit parfois son égoïsme par une générosité, grandiose il est vrai.
Une pensée qui résume toute la philosophie de Casanova dans son approche sensuelle des femmes page 76 : « Vrai ou feint le sommeil d’une femme qu’on adore doit être respecté par un amant délicat sans toutefois se priver des jouissances qu’il permet. Si le sommeil est véritable, il ne risque rien et, s’il n’est que simulé, c’est répondre aux désirs qui l’enflamment. Il ne faut que mesurer ses caresses de manière à s’assurer qu’elles sont douces à l’objet. » Voilà pourquoi on aime bien Casanova : c’est fou ce qu’on lui ressemble non ?
27/05/2018 Dans quelle édition lire Casanova aujourd'hui
J’ai découvert Casanova dans l’édition de 1992 chez Laffont-Bouquins. La lecture des mémoires de Casanova dans cette édition m’avait comblé car elle satisfaisait, à la fois le plaisir de découvrir les aventures de Casanova mais aussi ma curiosité : Les notes abondantes sur les personnages ou les lieux répondaient parfaitement à ce besoin d’en savoir plus.
Prenons un exemple au hasard : la rencontre de Casanova et du comte de Bonneval et voyons comment elle est traitée dans quatre éditions :
Dans l’édition de la Sirène de 1925 Mémoires tome 2, page 60 :
« Le lendemain de mon arrivée, je me fis conduire chez Osman bacha(13) de Caramanie, nom que portait le comte de Bonneval depuis qu’il portait le turban. »
On trouve aux pages 292 à 295 un article très fourni sur Bonneval :
(13) Osman bacha (page 60). -~ Claude Alexandre, comte de Bonneval, qui devint Achmet-Pacha (et non Osman) naquit le 14 juillet 1675 à Coussac, en Limousin (aujourd’hui Haute-Vienne); il appartenait à une famille de vieille noblesse, alliée à la famille royale. Il servit dix ans dans la marine, puis passa dans l’armée ou il se distingua comme officier de grande bravoure pendant les campagnes de Louis XIV. A la suite d'une querelle avec le ministre Chamillart, qui l’accusait de malversations en Italie, il quitta l'armée en 1706 et entra au service de l'Autriche. Il gagna vite la faveur du prince Eugène dont il devint 1'un des principaux lieutenants. A la bataille de Peterwardeín, où il fut grièvement blessé, il se couvrit de gloire et fut nommé feld-maréchal lieutenant. La liberté de ses allures et de son langage indisposèrent contre lui le prince Eugène qui le fit envoyer à Bruxelles pour y commander les troupes de l’empereur. A la suite d'une querelle célèbre avec le marquis de Prié, sous-gouverneur des Pays-Bas, il fut arrêté, passa en conseil de guerre et resta un an prisonnier au Spielberg (1725-1726).
Dépouillé de tous ses titres, il se rendit à Venise, où il séjourna près de trois ans, et de là chez les Turcs. Il se fit mahométan, et pendant quatorze années, avec le titre de pacha de Caramanie et de général en chef des Bombardiers, il fut le plus important conseiller de la. Sublime Porte. Son habileté diplomatique était surprenante, son influence en Turquie considérable.
Lorsque Casanova. le rencontra, il avait déjà 71 ans. Il mourut le 23 mars 1747, au moment où, semble-t-il, le gouvernement de Louis XV lui faisait faire des offres discrètes pour revenir en France. Il est enterre au cimetière turc de Pera. -- G.
(Note revue par M. Henri Courteault, conservateur adjoint aux Archives nationales, qui a recueilli sur Bonneval, dans un grand nombre d'archives d’Europe, les documents les plus curieux, et qui prépare la biographie complète de ce célèbre personnage.)
M. Octave Uzanne a publié dans le Livre (1889, page 57) une lettre du prince de Ligne à Casanova donnant sur Bonneval des détails intéressants :
« Vous voulés du Bonneval, je vais vous en donner à mon tour. Une cabale orgueilleuse autrichienne et superstitieuse espagnole, jalouse de ce qu'il avait le plus contribué aux victoires de Turin, 1'année six, de Peter-Wardein, et l'année seize, de Belgrade, et 1'an dix-sept de la tendre amitié du prince Eugène, cherche à le brouiller avec lui; Le Prince n'était pas dévot : mais ses deux amies, Mmes de Bathyany et de Strattmann, qui faisaient tous les jours sa partie de piquet, et chez qui il se consolait du crédit qu'il perdait à la cour, avaient pris quelque ascendant sur lui. Le prince dégoûté de plus en plus des affaires avait laissé beaucoup trop d'autorité à trois commis Koch, Brockhausen et Ettel. -- Bonneval demanda le gouvernement d'Esseck. Le second de ces messieurs à qui les manières françaises ne devaient pas plaire dit: Was! der Franzose Esseck ? Dreck ; und nicht Esseck! et cela prononcé avec toute la délicatesse de 1'idiome autrichien. – Bonneval soupait tous les jours avec le duc d'Aremberg, mon père, mon oncle, et Rousseau, au cabaret, car c'était le bon tems. Jean-Baptiste n'était pas un buveur d'eau comme Jean-Jacques. Le vin d'Hongrie valait mieux que le vin de Palerme du Rousseau latin, les faisans de Bohême que les paons de Mecenas, et le Schille que les petits poissons du Tybre.
« On chantait au dessert et Bonneval, un jour, enfanta ces malheureux couplets qui, quelques jours après, le firent employer suivant mon grade, et le sien, au Pays-Bas: sur l'air de lampons, lampons, qui en France en a bien fait disgracier d'autres : ainsi que les Alleluia.
Qui met toute affaire au croc
Et jamais ne la décroche,
Qu'il n'ait votre argent en poche.
Lampons, lampons, camarades, lampons.
Quoique Ettel ne soit qu'un sot,
Et de plus un franc bigot,
Quoiqu'il soit mangeur d'hostie,
Sans argent, il vous oublie.
Lampons, etc.
Le secrétaire (1) est hautain,
Avare, fourbe et malin.
Le maître, d'un ton farouche,
Dit-il, parle par ma bouche.
Lampons, etc.
Bonneval aura. du Drech
Et Petrasch (2) aura Esseck :
Près de ce référendaire
L'or d'Esclavonie opère.
Lampons, etc.
Hongrois, Espagnols, Flamands,
Italiens et Allemands,
Aux pieds de ces trois idoles,
Apportés tous vos pistoles.
Lampons, etc.
Bien sot qui sert Pempereur,
Par un principe d'honneur.
Sans se donner tant de peine,
Achetés l’honneur à Vienne.
Lampons, lampons, camarades, lampons.
« Un vieux général de go ans qui soupait, buvait, et chantait aussi, m'ayant appris cette anecdote, je m'avisai de continuer.
Sait-on pourquoi Bonneval,
Cet excellent général,
A l'oreille ayant la puce
Se fit couper le prépuce.
Lampons, etc.
C’est qu'il chante monsieur Kock
Qui n’était qu'un franc escroc
Et quelque référendaire
Dont on baisait le derrière.
Lampons, etc.
Le prince Eugène eut grand tort
De s'en courroucer fort.
Ne savait-il pas qu'en France
Toujours 1'on chante ou 1'on danse
Lampons, etc.
Ils étaient tous deux français,
Jadis s'aimant à 1'excès.
Mais souvent en Allemagne
On bat ainsi la campagne.
Lampons, etc.
Bonneval n'a pas raison
De dire dans sa chanson
Qu'on se donne moins de peine
Achetant l'honneur à Vienne.
Lampons, etc.
Car c'est leur en supposer.
D'en douter je puis oser.
Au moins pour justice rendre,
Ils n'en ont pas à. revendre.
Lampons, etc.
Ligne parle, dans ses Oeuvres choisies (Genève, 1, 267, 3Iosq.),des relations de Casanova et de Bonneval; mais il se base sur les communications verbales de Giacomo, lesquelles ne sont certainement pas exactes. Casanova s'était tracé le rôle qu”i1 était décidé à jouer; aussi, calculait-il de façon intéressée les affirmations qu'il donnait concernant ses relations avec Bonneval. Lorsqu'i1 se rendit à Constantinople, il paraît bien n'avoir connu Bonneval que d'une façon en quelque sorte livresque, il a dû faire de ses lectures l'ornement de ses Mémoires. En outre, Casanova, qui ne fut pas informé de la mort de Bonneval, en donne la nouvelle à une date tout à fait erronée. -- G. *
(Cette note a été revue par M. Henri Courteault. -_ Voir la note I du chapitre V.)
(1) Wilhelm von Brockhausen était « Feldkriegssekretar. » (Cf, A. Arneth, Prínce Eugen, Vienne, 1858, ll, 410).
(2) Le colonel Maxim Petrash étais un favori du Prince Eugène (A. Arneth, loc. cít., II, 412).
Dans l’édition Brockhaus-Plon de 1960 tome 1 volume 2 chapitre IV page 66 :
« Ce fut le surlendemain de mon arrivée que je me suis fait [308] conduire chez Osman bacha de Caramanie. C’est ainsi que s’appelait le comte de Bonneval après son apostasie (19). »
J’ai noté que la pagination est faite par volume : original !!!
On ne trouve à la page 314 la note sur l’apostasie et rien d’autre.
(19) APOSTASIE : Condamné à la forteresse à la suite d’une querelle, le comte de Bonneval quitte le service impérial, s’enfuit en Turquie, embrassa l’Islamisme (1730), reçut le gouvernement de la Caramanie et de la Roumélie, et devint pacha (gouverneur) sous le nom d’Achmet (et non Osman)
Dans l’édition Laffont-Bouquins ; Volume 2 – Chapitre IV page 281 :
« Ce fut le surlendemain de mon arrivée que je me suis fait conduire chez Osman bacha de Caramanie. C’est ainsi que s’appelait le comte de Bonneval après son apostasie (8). »
En bas de page on trouve la même note sur l’apostasie que dans l’édition Brockhaus-Plon. Mais pages 992-994 on trouve le même article que dans l’édition de la Sirène avec ces quelques lignes en plus :
Dans son Fragments sur Casanova le Prince de Ligne cite à son sujet un long extrait des capitulaires de Casanova du 2 juin 1741, traduit en français, -- H.W.
Dans l’édition de la Pléiade Tome second chapitre I, II et III page 303:
« Ce fut le surlendemain de mon arrivée que je me suis fait con(9)duire chez Osman bacha(B) de Caramanie(23). C’est ainsi que s’appelait le comte de Bonneval(24) après son apostasie. »
B : pacha (turc paça, parfois transcrit pascha ou bashaw)
Notes des pages 302 à 307
23. Le titre d'Osman Pacha, de haut rang, était accordé notamment aux gouverneurs de provinces et aux généraux de l'Empire ottoman. Il avait aussi une valeur honorifique, équivalent de « Monseigneur ››. - La Caramanie est une ancienne province du sud-est de la Turquie d'Asie dont le chef-lieu était Konya.
Dans l’édition Laffont Bouquins tome 3 chapitres 1, 2, 3 page 363 :
« Ce fut le surlendemain de mon arrivée que je me suis fait conduire chez Osman bacha7 de Caramanie. C’est ainsi que s’appelait le comte de Bonneval après son apostasie. »
(7) Casanova écrivait « Pacha » au chapitre x du tome I (voir page 296). Cette différence ne doit pas surprendre : « Bacha » est le « Titre d’honneur qui se donne en Turquie à des personnes considérables, même sans gouvernement […] Les Turcs prononcent Pacha, et les Italiens Bassa. Le B en Turc se prononce comme le P en Français » (Acad. 1762).
En conclusion, dans les deux dernières éditions : Les notes de la Pléiade sont assez nombreuses, pertinentes bien évidemment mais dans une taille de caractères rendant la lecture difficile. Les notes de l’édition Bouquins sont réduites au minimum. Le parti-pris éditorial a été : le texte, rien que le texte et peu d’informations complémentaires propres à satisfaire la curiosité d’un amateur. Cela ne me choque pas mais ce ne sont pas des éditions propres à passionner les lecteurs boulimiques et curieux dont je fais partie. Tout au long du XXème siècle des casanovistes ont écrit des commentaires passionnants sur les mémoires de Casanova. Je pense à Charles Samaran ou Helmut Watzlawick pour n’en citer que deux. Tout ce travail est passé aux oubliettes ? Je ne demande pas une édition exhaustive en 20 volumes j’aimerais seulement trouver une édition donnant suffisamment d’informations complémentaires au texte de Casanova pour nous éclairer sur les personnages impliqués dans les mémoires et sur le XVIIIème siècle et sa diversité.
Une dernière chose : Il semble qu’aucun éditeur n’ait trouvé la bonne méthode d’édition des notes propre à faciliter la vie du lecteur. Exemple :
Dans la Pléiade : page 303 on renvoie à la note 23, surtout pas à la page 1235 dont le titre indique : Notes des pages 302 à 307. Ce n’est pas mal mais on doit pouvoir faire mieux avec les prouesses dont sont capables les programmes informatique actuels.
A quoi ressemblerait une édition qui me comblerait :
10 ou 12 volumes format 21x29,7 en 2 présentations : reliée et brochée.
Une seule version du texte original de Casanova avec en bas de page les petites notes de langue comme dans la Pléiade.
Chaque volume précédé d’une introduction écrite par un casanoviste actuel : heureusement il en reste de par le monde de très savants…
Pas d’autres textes de Casanova que celui des mémoires mais un maximum de notes sur les personnages, les lieux, les événements marquants de l’époque. Valeur des monnaies traduites en euros, quelques cartes. Le renvoi aux notes organisé pour faciliter le travail du lecteur.
Illustrations aussi nombreuses que possible : cela permet de respirer un peu pendant la lecture et de visualiser « l’atmosphère » du texte.
Les amoureux de Casanova méritent bien cette édition non ?
15-04-2018 Lire ou relire "Le bal masqué de Giacomo Casanova"
Avant de poursuivre quelques mots sur l'auteur : François Roustang est né le 23 avril 1923 et mort le 23 novembre 2016. C'est un philosophe français, ancien jésuite et ancien psychanalyste. Il est devenu ensuite hypno thérapeute.
A chaque fois que le me suis plongé dans l’histoire de ma vie je suis passé très vite sur des phrases tordues de Casanova comme celle-ci : «
Mon état était si triste que je n’avais pas la force de ne pas vouloir quelque chose
» ou bien «
Je ne peux vous pardonner qu’oubliant que vous êtes un sage ; et je ne l’oublierai jamais.
». François Roustang, lui, sait s’arrêter sur ces phrases et en tirer des conclusions qui peu à peu éclairent la vraie nature de Casanova. Ce cher Giacomo n'est responsable de rien : seul le hasard des choses lui impose ses choix. Il respecte l'autorité mais n'en tient jamais compte. Pour séduire une femme il lui faut monter un scenario compliqué qui lui permette de satisfaire ses fantasmes : Que ce soit avec Nanette et Marton, dona Lucrezia et Angelica ou CC et MM.Je m'arrête là :
Cette petite note n’a pas pour but de paraphraser ce génial petit livre mais de seulement vous engager à le relire.
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